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L’art de la Corée du Sud : une scène artistique émergente ou une tradition de longue date ?

  • Photo du rédacteur: prysk7
    prysk7
  • 1 juin 2015
  • 9 min de lecture

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La scène artistique de la Corée du Sud s’est énormément étendue en un peu plus d’une décennie seulement. La capitale du pays, Séoul, où se développent plusieurs quartiers artistiques importants, propose aux amoureux de l’art de découvrir une scène artistique variée, en perpétuel enrichissement. L’art chinois, bien qu’il demeure extrêmement populaire, atteint aujourd’hui des prix exorbitants, ce qui l’a rendu inaccessible à la plupart des collectionneurs, le relégant au statut de scène artistique émergente d’hier. Pour ne citer qu’un exemple, une tenture en soie de la dynastie Ming vendue chez Christie’s Hong Kong l’année dernière a atteint les 45 M$. Ceci explique pourquoi de nombreux collectionneurs et amateurs d’art se tournent désormais vers l’art de la péninsule, puisque la Corée du Sud offre actuellement des travaux de grande qualité à des prix bien plus raisonnables comparés à ceux que pratique son homologue chinois. Le pays a vu la naissance d’un grand nombre d’artistes contemporains talentueux et les galeries se multiplient. Beaucoup de ces dernières se développent également à travers de nouvelles succursales dans d’autres lieux, comme à New York, ce qui accroît l’intérêt que leur portent les collectionneurs occidentaux. Dans une interview avec la publication en ligne, 9 muses news, Heashin Kwak, le directeur de la Hanmi Gallery à Séoul et à Londres, a expliqué : « L’art contemporain coréen s’est établi comme un centre d’avant-garde et profondément contemporain sur le marché mondial. En raison de l’explosion du marché de l’art chinois, l’art contemporain coréen a également été mis sous le feu des projecteurs comme un marché émergent en pleine ascension… La scène artistique coréenne a été très dynamique à sa manière pendant quelque temps, mais à cause de la situation géographique du pays, elle n’a pas été exposée à un public plus large jusqu’à récemment. »

Une pépinière d’artistes contemporains

À l’évidence, toute scène artistique nationale se développe avant tout à partir de ses artistes. Récemment, l’artiste multimédia Joonho Jeon a notamment déclenché une tempête sur la scène artistique coréenne contemporaine avec des œuvres vidéos où apparaissent des billets de banque comme ceux de la Bank of Korea et le billet de 20 $ américain. Un autre artiste vidéo coréen internationalement reconnu est Oh Yong-Seok, dont les travaux se composent de vidéos extraites des médias de masse et de la culture populaire transformées par la suite dans de nouvelles œuvres qui se révèlent entièrement différentes. Dans la même veine, jouant de l’incorporation des technologies à une pratique artistique, on trouve les productions avant-gardistes de Han-Soo Lee. À partir de peinture fluorescente et de lampes LED, ces dernières examinent les problèmes et angoisses collectifs de la société coréenne contemporaine. Une énergie similaire peut être perçue dans les tableaux de Suejin Chung, dont les toiles, remplies de personnages aux couleurs éclatantes, dépeignent les foules agitées de la société coréenne actuelle et font le portrait de la solitude et de l’isolement qui touchent l’ensemble des êtres humains. Les travaux de l’artiste pluridisciplinaire Sook Yung Yee jouent sur le contraste entre le traditionnel et le contemporain. Par exemple, sa série de vases intitulée translated comporte des pièces réalisées à partir de morceaux de créations céramiques traditionnelles brisées, réarrangées en de nouveaux objets.

Des galeries à foison

De nouvelles galeries sont apparues un peu partout dans le pays afin de représenter tous ces talents émergents. L’une d’entre elles est le Gana Art Center, fondée en 1983 et située dans le quartier résidentiel de Pyeongchang. Construction moderne dessinée par l’architecte Jean-Michel Wilmotte, ce complexe se targue de constituer le plus grand centre d’exposition de la Corée du Sud. Ayant accueilli quelques centaines d’expositions d’artistes internationaux, ce centre a précédemment présenté les œuvres de grands noms tels que Joan Mirò, Roy Lichtenstein et Pierre Alechinsky. Par ailleurs, depuis 2001, l’institution héberge également annuellement l’International Photo-Media Festival. En outre, l’année 2010 a vu la création de SongEun ArtSpace dans le riche quartier de Gangnam (internationalement connu depuis la chanson de la pop-star PSY, Gangnam Style). Fondé par la SongEun Art and Cultural Foundation, cet espace sert le but général de la fondation, qui n’est autre que la promotion de l’art contemporain à Séoul. L’espace d’exposition de trois étages comprend également un café et un restaurant, ainsi qu’une salle réservée aux fonctions d’exploitation. La fondation dirige également l’annuel SongEun ArtAward, qui vise à soutenir les talents coréens émergents. La galerie d’art la plus vieille de la ville, la Gallery Hyundai, fondée en 1970, est située dans la rue surnommée « gallery street », au cœur même de la riche scène artistique de Séoul. La galerie, qui a représenté plusieurs artistes coréens confirmés tels que Park Soo Keun, Joong Seop Lee et Dai Won Lee, a largement contribué au développement du marché de l’art coréen et à sa reconnaissance internationale. Elle possède actuellement deux espaces à Séoul, dans le quartier Sagan-dong et dans celui de Gangnam, tout en dirigeant les activités de la Dugahun Gallery. En outre, la Gallery Yeh, fondée en 1978 et rouverte en 1982, a également joué un rôle décisif dans la montée en grade de l’identité sud-coréenne sur la scène artistique mondiale, en exposant les travaux d’artistes internationalement reconnus tels qu’Alberto Giacometti et Jesús-Rafael Soto, ainsi que de grands maîtres coréens comme Pon Ung Ku, Ok Yeon Kwon et Hwan Ki Kim. La galerie a surtout popularisé l’art coréen en représentant des artistes du pays lors pays lors des foires internationales organisées dans le monde entier. Un autre musée qui s’est fait une place au soleil à Séoul, le Leeum – Samsung Museum of Art, est le musée privé le plus célèbre de la capitale. Ce centre expose d’abondantes collections d’art coréen et international, avec trois sections dédiées respectivement à l’art traditionnel coréen, international et contemporain, ainsi que des expositions spéciales. L’institution se consacre à la fois à l’illustration de la riche histoire de la Corée et à celle de son avenir prometteur.

Busan : un centre prospère

Si Séoul est la place forte de la scène artistique sud-coréenne, Busan, la deuxième plus grande ville de la Corée du Sud, se distingue comme un lieu effervescent en passe de devenir une destination culturelle incontournable. Le Busan Museum of Art, qui a ouvert ses portes en 1998 à Haeundae, s’est établi comme un important centre d’art de la scène artistique de Busan. Le musée continue à mener des recherches sur l’histoire de l’art de Busan et à exposer des artistes locaux. La ville offre également un riche réseau de galeries, de nouveaux espaces s’installant dans les quartiers de Haeundae et Dalmaji Hill. Le Seoul Art Center, la Gallery Serene Space, la Suhorom Gallery et l’Asian Art Works ont inauguré des succursales à Busan. En outre, de nombreuses maisons de ventes et galeries basées à Séoul ont crée de nouvelles antennes dans cette deuxième plus grande ville du pays. Seoul Auction a ouvert sa branche à Busan en 2006 et Gana Art Busan, la succursale locale du Gana Art Center, a ouvert en 2007. Cette dernière institution organise non seulement des expositions, mais elle accueille aussi des événements culturels et des ateliers d’artistes. La ville héberge également diverses foires comme Art Show Busan et la Biennale de Busan, cette dernière étant un rendez-vous important du calendrier culturel de la ville. L’édition 2014 de la Biennale de Busan, dirigée par Olivier Kaeppelin, un critique d’art français et directeur de la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence, s’est déroulée en septembre avec pour thème « Inhabiting the World » (« Peupler la planète»). Son but : établir des passerelles entre la scène artistique coréenne locale et le marché de l’art international.

« Émergent » : une étiquette problématique

Tandis qu’il est indubitablement positif de célébrer la prospérité de la scène artistique sud-coréenne, les plus avertis appelleront à nuancer le terme d’« émergente », par ailleurs fréquemment employé, pour qualifier la scène artistique nationale. Tout d’abord, le terme « émergent » marque une certaine condescendance, symptomatique de l’infantilisation des cultures non-occidentales. L’auteur anti-colonialiste Frantz Fanon a notamment condamné cet état d’esprit en décrivant les peuples colonisés sous le contrôle d’une force colonisatrice comme « infantilisés, opprimés, rejetés, déshumanisés, acculturés, aliénés ». Un article de modernedition.com expliquait : « Mais alors que de plus en plus d’artistes coréens se font connaître des publics occidentaux, l’impression d’une réussite artistique collective apparaît plus évidente que jamais. » Cette phrase est problématique dans la mesure où elle semble suggérer que la renommée auprès des « publics occidentaux » ainsi que l’exposition sur les foires internationales (donc occidentales) et aux côtés d’artistes occidentaux sont des prérequis à la légitimité des artistes coréens, ou à l’appréciation de leur « réussite artistique collective ». Ce discours affirme la suprématie occidentale et indique que la scène artistique sud-coréenne ne s’est révélée qu’après avoir été découverte par l’Occident. Cela pose problème puisque ce présupposé ignore des millénaires d’histoire nationale. Dans ce même article de modernedition.com, une description de l’artiste coréen Soo Koo Shim (né en 1949), affirme : « [Sa] pratique reflète à la fois la tendance néo-confucianiste à valoriser la nature et l’éloquente simplicité qui domine l’art coréen traditionnel. En même temps, son approche et son penchant caractéristiques pour le formalisme occidental sont d’une tonalité tout à fait moderne. » Cette déclaration semble adopter cette perspective selon laquelle les pays non-occidentaux devraient se plier aux formes d’art occidentales, donnant le « formalisme occidental » comme véritable équivalent de l’art « moderne » . Suggérerait-il par là que les autres formes d’art sont primitives et arriérées ? Le terme « émergent » contribue à répandre cette idéologie, établissant une hiérarchie au sein du monde de l’art, insinuant que l’art occidental serait supérieur aux formes d’art primitif des nations non-occidentales. De là, la production artistique de ces dernières ne saurait obtenir sa légitimité que par l’imitation de l’Occident et seulement après avoir été vue et approuvée par les publics occidentaux…

Une riche histoire artistique

Ce qui pose le plus problème dans l’étiquetage de la scène artistique sud-coréenne comme « émergente », c’est surtout que cela balaie des millénaires d’histoire de l’art du pays ainsi que d’importantes traditions établies depuis bien longtemps. Après tout, c’est l’illustre passé artistique du pays qui a permis l’existence d’une telle industrie artistique, aujourd’hui florissante. Les arts coréens traditionnels englobent une large variété de médiums, incluant la poterie, la peinture, la calligraphie, les céramiques, l’art sur bronze, l’argent, la sculpture en jade, la pyrographie sur bambou, les cornes de bœuf incrustées et la sculpture sur bois. De manière générale, les œuvres d’art coréennes se caractérisent largement par les principales croyances religieuses de leurs périodes de création respectives. Au fil des siècles, la production artistique de la péninsule a évolué depuis l’art shamanique coréen à l’art bouddhique coréen, en passant par l’art confucéen, pour accueillir plus récemment à une synthèse des différentes formes d’art occidental. L’histoire de l’art coréen remonte à 7.000 av. J-C, une période à laquelle on réalisait déjà des poteries à partir du calcaire, les plus anciennes qu’on ait découvertes sur le territoire coréen. La Dynastie Goryeo (918–1392) a connu une production extrêmement riche de travaux artistiques, particulièrement en poterie. Les artistes de cette époque étaient largement influencés par les traditions chinoises, se les réappropriant par des formes plus simples, avec des objets d’art destinés à rendre hommage à la pureté de la nature. La Dynastie Joseon (1392–1897) a constitué une période clé dans l’histoire de l’art coréen, puisque la production artistique se caractérisait par l’influence du confucianisme. Les styles de peinture de cette époque tendaient vers le réalisme. La période qui va du milieu à la fin de la Dynastie Joseon est considérée comme l’âge d’or de la peinture coréenne. À cette époque, l’influence artistique chinoise diminuait, permettant à l’art coréen de se développer de manière idiosyncratique et de se distinguer. Au XXe siècle, la peinture constituait le médium principal de la production artistique, l’abstraction devenant de plus en plus populaire à partir des années 1930. Depuis les années 1960, les artistes coréens ont commencé à expérimenter d’autres formes d’art, comme les toiles trempées et les papiers déchirés : autant de moyens de défier les idées préconçues rattachées à la peinture à l’encre ou à la peinture à l’huile. Ces développements ont mené à la formation du mouvement artistique national le plus controversé du siècle dernier, apparu dans les 1970 et 1980 : le Dansaekhwa, avatar coréen de la peinture monochromatique.

Il est évident que la scène artistique sud-coréenne a connu un développement florissant durant ces deux dernières décennies. Toutefois, il est tout aussi important de remettre en question l’idée communément admise selon laquelle l’art sud-coréen serait caractérisé par ses scènes émergentes, plutôt que par une tradition de longue date. Il est vrai que la scène artistique est prospère en termes de croissance et du nombre d’artistes contemporains talentueux et très prometteurs, ainsi qu’en ce qui concerne la prolifération des galeries, des centres d’art et des institutions… Ne s’agirait-il là que d’une question de perspective ? D’un point de vue occidental, la scène artistique sud-coréenne est en plein développement dans la mesure où elle gagne rapidement une reconnaissance internationale et de ce fait, empiète régulièrement sur le marché de l’art international. Mais dans une perspective plus locale, il est possible que la scène artistique soit perçue comme décevante, désuète et peu inspirée comparée à l’apogée de la peinture coréenne, au temps de la Dynastie Joseon. Le temps seul nous le dira…

Source : Art Media Agency

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