Marché de l'art : trois bonnes raisons de s'intéresser à l'art africain
- prysk7
- 2 juil. 2015
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Tandis que deux ventes majeures viennent de se clôturer chez Christie’s etSotheby’s, respectivement les 23 et 24 juin derniers, l’Art Africain prend une place grandissante sur le marché de l’Art comme dans les musées. Sorti de son carcan ethnographique depuis plusieurs décennies, reconnu par Picasso comme une forme artistique inégalée, l’Art Africain n’a jamais suscité autant d’intérêt.
Conséquemment à l’explosion du marché de l’Art contemporain, les collectionneurs sont désormais en quête de nouveaux horizons. Elevé au rang d’Art à part entière par le primitivisme, l’Art Africain demeure bien plus abordable que son parent et constitue un débouché intéressant pour les nouveaux acheteurs potentiels. Ainsi le mardi 23 Juin chez Christie’s, quatre collectionneurs se sont disputé le très attendu reliquaire Kota de William Rubin à l’estimation vertigineuse, qui s’est envolé à près de 5,4 Millions d’euros. Il s’agit d’un record du monde pour un Kota vendu aux enchères, un second record pour une pièce d’Art Africain vendue en France et un troisième record mondial, talonné par la vente chez Sotheby’s le lendemain du Masque Double Baulé de la collection Vérité également adjugé à 5,4 Millions d’euros. Chacune des ventes a réalisé un total de plus de 11 Millions d’euros, une très belle performance pourtant sans comparaison avec les sommets atteints par un seul Picasso ou Francis Bacon. Autrefois réservé à une élite, le primitivisme nécessitant une connaissance pointue à la fois des Arts primitifs et des Modernes, l’Art Africain attire à lui une nouvelle génération de collectionneurs. En témoigne la vente du reliquaire Kota de William Rubin : oeuvre au pédigrée d’exception, le Kota Rubin a notamment appartenu à Helena Rubinstein, femme d’affaires redoutable et collectionneuse avertie, avant d’être acquis par William Rubin aux alentours de 1980. Bill Rubin n’était autre que le conservateur des départements de peinture et de sculpture du MoMA de 1967 à 1988, chercheur, critique d’art, collectionneur, historien de l’art et professeur. En 1984, il est à l’origine de l’exposition-évènement Le Primitivisme dans l’Art du 20ème siècle, qui fait date par son traitement sans précédent de la notion de primitivisme en tant qu’intérêt marqué par les artistes modernes pour l’art et la culture des sociétés tribales. Les similitudes entre les Demoiselles d’Avignon de Picasso (1907) et l’esthétique des reliquaires Kota interloquent et laissent présumer un certain lien de paternité. A l’instar de ces collectionneurs de légende et des grands maîtres cubistes, il semble donc presque naturel que les nouveaux acquéreurs se tournent vers cet Art premier au rayonnement grandissant.
D’autant que bien au-delà ces dynamiques de marché, l’Art Africain s’impose comme une évidence expressive, mystique et plastique. Proche de l’Art moderne en ce qu’il est inventif et multiforme, il est avant tout un art de l’utilitaire et du fonctionnel. Rien n’est gratuit dans l’Art Africain: des reliquaires dont les bras en forme de diamant se prolongeaient dans des sacs renfermant les ossements des ancêtres du propriétaire à qui ils garantissaient de conserver la puissance sexuelle de l’un, l’aptitude à la chasse de l’autre, la sagesse de l’ancien, aux onctions d’huiles de vin ou de palme, de bière ou de mil ou de sang d’animaux qui recouvraient les statues en vue de la sacraliser pour que la magie opère, tout a une fonction. D’une harmonie troublante où chaque détail compte, les masques africains ont avant tout un signifiant social. A tel point que cette logique d’efficacité pousse à questionner la notion même de créativité. Comment un objet peut-il être à la fois traditionnel et unique? Fruit de l’artisanat du maître anonyme et objet d’art? Objet utilitaire et dépositaire de tant d’imagination? Ces paradoxes, cette complexité conceptuelle doublée d’une subtilité esthétique font de l’Art Africain une forme d’expression infiniment captivante.
Enfin, l’engouement pour le marché de l’Art Africain est très probablement symptomatique d’un monde où le regard de l’Occident sur le continent Africain change. Et pas seulement: le primitivisme naît chez Gauguin d’une inquiétude profonde à l’égard de la civilisation qui le pousse à se réfugier dans des paradis insulaires. Dès Montaigne, les écrivains utilisent le primitif comme prétexte pour fustiger les artifices d’une société coupable des altérations de l’âme de l’humanité. Et qu’est-ce que l’Art Africain, sinon une passerelle directe entre le réel et le sacré, entre l’ici-bas et l’au-delà ? La mort chez les Africains n’est qu’un accident de parcours et n’a pas être redoutée. Tous ces charmes qui ne sont que protection procurent un sentiment unique de régression pareil à souvenir d’enfance. Ce n’est certainement pas un hasard si dans le contexte politique, économique et social actuel, une forme d’art vigoureuse, simple et directe réussit une telle percée.
Claude Levi-Strauss écrivait: « Un peuple primitif n’est pas un peuple arriéré ou attardé; il peut, dans tel ou tel domaine, témoigner d’un esprit d’invention et de réalisation qui laisse derrière lui les réussites civilisées ». Ainsi, le masque Baulé de la collection Vérité présenté chez Sotheby’s est d’une beauté à couper le souffle, touchant aux thèmes universels du double et de l’identité de genre. Pour l’une de ses premières expositions, la galerie VnH, (anciennement Yvon Lambert) a choisi l’artiste/marabout Pascale Martine Tayou avec une exposition intitulée « Gri-gri», un véritable parcours initiatique autour d’un arbre de vie-totem arborant des masques en cristal comme autant de charmes aux pouvoirs bienveillants. Des murs parés de mines de crayons démesurées qui attirent autant qu’elles repoussent, tel l’envers du décor d’un rêve surréaliste aux accents vaudous. Une réponse forte, poétique et directe au promeneur en quête de sens.
Source : Toute la culture
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