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Art in the 90’s : la crise du marché de l’art

  • Photo du rédacteur: prysk7
    prysk7
  • 24 juil. 2015
  • 6 min de lecture

Art in the 90's

Alfred Marshall affirmait dans son ouvrage Principles of Economics : « Il est impossible d’évaluer des objets tels que des tableaux de maître […] puisqu’ils sont uniques dans leur genre, n’ayant ni équivalent ni concurrent ». L’art a toujours constitué un objet d’étude ambigu pour les économistes de par son caractère atypique : les objets d’art présentent une utilité marginale croissante (cela signifie que la satisfaction ressentie augmente avec la consommation, ce qui n’est pas le cas pour les autres types de biens) et un fort degré d’incertitude sur la valeur. Un des éléments nécessaires à la compréhension de la crise des années 1990 est qu’elle est révélatrice d’un changement du regard porté sur l’art : celui-ci n’est plus considéré comme un domaine indépendant de l’économie mais comme un secteur d’investissement potentiel.

Les années 1980 : un contexte macroéconomique favorable à la spéculation

Le marché de l’art a commencé à se mondialiser après la Seconde Guerre mondiale : les États-Unis en sont devenus une place importante et les prix ont commencé à augmenter. Cependant, c’est à partir des années 1980 que les prix ont connu une croissance significative. À cette époque, les marchés financiers bénéficiaient de beaucoup de liquidités et l’économie enregistrait une période de croissance après la récession post-chocs pétroliers. Or il existe un lien entre la croissance d’une économie et le marché de l’art : une augmentation du PIB invite les investisseurs à placer leurs fonds sur le marché de l’art dans le but de diversifier leurs actifs ou par pur intérêt artistique. En outre, les investisseurs japonais ont commencé à intervenir sur le marché de l’art en tant qu’acheteurs, favorisés par un yen fort et une économie florissante. Le montant des importations japonaises de peintures durant la période s’élève à environ 20 Mrds de francs, soit un peu plus de 3 Mrds€. Enfin, c’est durant les années 1980 que les entreprises ont commencé à collectionner des œuvres d’art : ce fut le cas pour IBM et Philip Morris par exemple. Ces éléments ont créé une demande forte sur le marché de l’art : le nombre d’acheteurs a augmenté. Parallèlement, l’offre d’objets d’art est restreinte et, a priori, ne peut satisfaire l’ensemble de la demande. Cela a généré un mécanisme inflationniste : les prix ont augmenté, conséquence de la confrontation entre une offre stable et une demande croissante.

L’augmentation des prix a donné naissance à une spirale inflationniste : en revendant les œuvres qu’ils avaient achetées, les collectionneurs pouvaient réaliser une importante plus-value. Une des caractéristiques des bulles spéculatives est leur caractère auto-entretenu : plus les prix augmentaient, plus les acheteurs étaient amenés à spéculer, ce qui conduisait in fine à une augmentation des prix. Dans un article du New York Times, Peter C.T. Elsworth décrit le contexte de l’époque : « la croissance du marché de l’art durant les années 1980 reflète une décennie obsédée par l’argent durant laquelle les milliardaires ont remplacé les millionnaires en première page des magazines. Il semblait que plus aucune limite n’existait ». En 1990, le Portrait du docteur Gachet de Van Gogh fut vendu 82,5 M$ (ce qui représente environ 135 M$ aujourd’hui, soit 124,3 M€). Les indicateurs d’Artprice ont enregistré une augmentation de 600 % du prix des œuvres durant la période.

L’explosion de la bulle spéculative

Durant la première guerre du Golfe, le contexte économique était morose : récession de l’économie américaine, manque de liquidités sur les marchés financiers, faillite de certains établissements financiers. Les investisseurs ont été moins enclins à investir sur le marché de l’art. Au même moment, le Japon a connu une importante récession avec la mise en place d’une politique monétaire restrictive et la crise du secteur bancaire : les investisseurs japonais ont réduit leurs achats d’œuvres d’art. La demande sur le marché de l’art étant moins importante, cela s’est répercuté sur les prix : entre 1990 et 1993, ils ont diminué de 55 % selon Artprice. Or, si une bulle spéculative est un mécanisme auto-entretenu, c’est également le cas pour une spirale déflationniste : à mesure que les acheteurs se retiraient du marché, les prix diminuaient, réduisant ainsi la demande.

Les conséquences sur le marché de l’art ont été multiples. Tout d’abord, une diminution des prix de vente : dans son rapport sur le marché de l’art sur les 25 dernières années, la TEFAF compare le prix de vente maximum des œuvres de Picasso avant et après la crise (entre 1988 et 1995) : avant la crise, le prix record atteint par un tableau de l’artiste espagnol en ventes aux enchères était de 48,2 M$ ; après la crise, le record fut de 5,7 M$. Un second élément révélateur de la crise qu’a connue le marché de l’art est l’augmentation du nombre d’invendus. Durant l’automne 1990, 20 % des œuvres proposées dans les ventes aux enchères à New York n’ont pas été vendues et ce sont près de 50 % des travaux d’art contemporain qui n’ont pas trouvé d’acheteur.

La restructuration du marché de l’art, conséquence de la crise

La crise a modifié le fonctionnement même du marché de l’art dans la mesure où elle a ébranlé bon nombre de ses acteurs. Les petites galeries ont été durement affectées : seules les plus importantes d’entre elles ont pu se maintenir. Néanmoins, elles ont été menacées par l’expansion des maisons de ventes. Initialement, leur travail était complémentaire : les marchands d’art se fournissaient auprès des maisons de ventes. À partir des années 1990, celles-ci ont adopté une stratégie plus agressive en démarchant les acheteurs et les vendeurs avec des conditions attractives : flexibilité des frais de commission, fixation d’un prix de réserve, avances sur le produit de la vente etc. L’achat du tableau L’Iris de Van Gogh par Alan Bond en 1990 en est un exemple révélateur : Sotheby’s a avancé la moitié du prix atteint par l’enchère à l’acheteur australien. En conséquence, les galeries ont dû modifier leur fonctionnement pour pouvoir répondre à cette nouvelle concurrence. Georges-Philippe Valois explicite ce changement : il y a 20 ans, une galerie « représentait différents confrères en Europe ou en Amérique pour les revendre. Puis, des galeries ont découvert qu’il valait beaucoup mieux avoir des succursales dans tous les pays, plutôt que de montrer leurs artistes chez d’autres contre des commissions ». Le métier de galeriste a évolué en se portant plus sur les résultats en termes de ventes. Les galeries se sont développées au niveau mondial : les cas de Gagosian, qui dispose actuellement de quatorze espaces d’exposition dans huit villes différentes, ou de Perrotin sont à cet égard révélateurs.

Dans son ouvrage Le Marché de l’art (2003), Raymonde Moulin met en évidence l’émergence de la figure du « mégacollectionneur » : « à la fois acteur culturel et acteur économique, [il] joue alternativement tous les rôles, celui du marchand (il achète et, éventuellement, revend), de commissaire d’exposition, de mécène (donations et fondations) ». En effet, le mécanisme spéculatif a donné une importance centrale aux acheteurs : le prix qu’ils sont prêts à payer serait révélateur de la valeur esthétique de l’œuvre. Peter Ludwig, Panza di Biumo et Charles Saatchi ont joué un rôle-clé durant la période en constituant de vastes collections et assurant la promotion de certains artistes : Saatchi a notamment financé l’œuvre The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone Living de Damien Hirsten 1991. Samuel Kellers rend compte de cette évolution : il affirme à propos des critiques d’art qu’ « ils sont désormais plus considérés comme des philosophes — respectés, mais pas aussi puissants que les collectionneurs, les vendeurs ou les conservateurs ». Auparavant, ils jouaient le rôle d’intermédiaire entre l’acheteur et l’œuvre. Il est désormais possible d’avoir un contact avec les travaux d’un artiste par le biais d’Internet et les foires, qui présentent l’avantage d’une plus grande rapidité dans le cadre de la transaction. La création d’Art Basel Miami en 2002 et de Frieze en 2003 mettent en évidence cet engouement nouveau pour les foires.

Le collectionneur suisse Simon de Pury affirme à propos de la crise des années 1990 : « Elle m’a appris une chose, c’est que celui qui garde son sang-froid peut faire des achats extraordinaires ». Cette crise a opéré une profonde recomposition du marché de l’art dont les différents acteurs ont dû s’adapter, à l’instar des galeries qui ont développé leurs activités dans le cadre des foires. À cet égard, le concept de destruction créatrice développé par l’économiste autrichien Joseph Schumpeter peut donner une appréciation satisfaisante de cette crise : pour lui, « le nouveau ne sort pas de l’ancien, mais à côté de l’ancien, lui fait concurrence jusqu’à lui nuire ».

Source : AMA

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