Les stars asiatiques chamboulent la promotion de la mode
- prysk7
- 3 nov. 2015
- 8 min de lecture

De nouvelles icônes des réseaux sociaux venues de Corée du Sud, du Japon et de Chine s’affichent désormais au premier rang des défilés. C’est tout sauf un hasard. Pour les marques, ces stars de la musique méconnues en Europe modifient en profondeur la manière de toucher une clientèle internationale.
Avec ses cheveux bleus et son physique renversant, Mademoiselle Yulia peut se permettre de faire preuve d’audace. La DJ japonaise écume le circuit des clubs tokyoïtes depuis des années, peaufinant son chant et son style vestimentaire qui subjugue les fêtards. La jeune femme de 28 ans a travaillé dur pour arriver à percer mais, à l’heure où un simple hashtag peut propulser des stars locales sur le devant de la scène internationale, force est de constater que sa musique J-pop passe au second plan. Son compte Instagram fait d’ailleurs assez peu de place à ses productions et privilégie son image d’artiste lookée auprès d’une nouvelle légion de fans, plus obsédée par sa garde-robe que par ses talents de DJ. Pas étonnant, du coup, que des marques comme Stella McCartney et Gucci se plient en quatre pour collaborer avec elle
Et Mademoiselle Yulia n’est pas un cas isolé. Plusieurs artistes asiatiques accèdent à une reconnaissance inédite dans la mode grâce à leur style… et à leurs nombreux fans sur les réseaux sociaux. Si ces jeunes célébrités sont recherchées, c’est parce qu’elles ont obtenu une vraie « crédibilité mode » auprès des professionnels de cette industrie. En se liant d’amitié avec des créateurs qui s’inspirent de leurs univers sur les podiums, ces stars parviennent à améliorer leur image branchée, gagner des abonnés sur les réseaux sociaux et toucher un public international.
Au dernier défilé Chanel Couture, quand Karl Lagerfeld a invité G-Dragon sur une photo de groupe aux côtés de stars hollywoodiennes comme Kristen Stewart et Julianne Moore, la côte du rappeur a aussitôt grimpé et fait de lui un « it boy » encore plus désirable. G-Dragon avait déjà obtenu un statut d’icône en Europe grâce au magazine britannique Dazed & Confused, qui s’intéresse aux célébrités branchées du « Hallyu » (vague culturelle coréenne), de la K-pop et d’autres scènes artistiques asiatiques.
Transformer un musicien en une gravure de mode n’est pas nouveau. Mais parce que leurs références culturelles pop et leurs inspirations trouvent leurs sources en Asie, ces artistes donnent un nouveau sens au mot “cool” et changent la façon de promouvoir ce concept nébuleux aux consommateurs.
Des audiences qui explosent
Autre exemple de collaboration fructueuse : la chanteuse chinoise androgyne Li Yuchun (aka Chris Lee) a été choisie comme égérie d’une campagne publicitaire pour Givenchy par Riccardo Tisci. Non seulement de telles relations dopent les marchés asiatiques déjà très lucratifs, mais les photos retweetées se répandent également sur la Toile — ce qui devient pour les marques un moyen rapide, efficace et peu coûteux derafraîchir leur panthéon d’ambassadeurs célèbres et de satisfaire leur clientèle internationale avide de nouveauté et de diversité.
« La moyenne des retweets pour Givenchy est d’environ 50 mais, lorsque du contenu concernant Li Yuchun est apparue sur le compte Weibo de la marque, il a été retweeté 31 655 fois », analyse Rand Han, fondateur de Resonance China, une agence de social média basée à Shanghaï, spécialisée dans le secteur du luxe.
A une époque où les icônes de style les plus influentes sont souvent des personnalités reconnues pour leur talent plutôt que des muses silencieuses, le virus de la mode peut vite devenir contagieux. Mademoiselle Yulia reconnaît que fréquenter de nombreuses célébrités de la mode a augmenté sa propre notoriété auprès des créateurs.

Il y a quelques années, des photos de Mademoiselle Yulia assise au premier rang du défilé de Jeremy Scott, entre les rappeuses Iggy Azalea et Nicki Minaj, ont permis à l’artiste japonaise de se faire un nom dans ce milieu. Un an plus tard à Paris, elle a été approchée par Rihanna pendant la fashion week. Yulia se rappelle : « Elle m’a dit “Je t’avais déjà remarqué sur Instagram, je suis donc contente de faire [enfin] ta connaissance”. Depuis c’est devenue une amie. »
Mademoiselle Yulia et son style audacieux
Après une apparition dans le clip de The Baddest Female pour la superstar coréenne Chaelin Lee (CL), Mademoiselle Yulia a été DJ pour l’after-party du défilé Chanel croisière à Séoul et a participé à d’autres événements exclusifs à travers le monde. Aujourd’hui, elle est représentée par IMG, une agence internationale de mannequins, ce qui l’aide à monétiser ses interventions dans ce milieu. « J’ai eu la chance derencontrer des gens que je n’aurais pas pu connaître autrement. Mais même avant l’ère des réseaux sociaux, j’avais déjà fait la connaissance de personnes comme Jeremy Scott ou encore les créateurs de la marque KTZ, qui m’ont prise sous leur aile lorsque j’ai commencé ma carrière de DJ, » poursuit-elle.
Mademoiselle Yulia a un style vestimentaire audacieux qu’on ne retrouve pas chez des stars japonaises plus connues localement comme l’actrice Rila Fukushima ou Rinko Kikuchi. Grâce à la célébrité et l’influence de ses 133 000 followers sur Instagram, elle joue aujourd’hui dans la même catégorie que l’ex-mannequin devenu actrice Kiko Mizuhara, qui compte pourtant 20 fois plus d’abonnés.
« La qualité est [parfois] plus importante que la quantité. Mademoiselle Yulia est l’une des seules icônes japonaises célèbres dans le monde qui comprend comment associer sa personnalité à un style versatile et branché », estime Mizuyo Yoshida, fondatrice de l’agence japonaise de relations publiques Steady Study, qui a déjà travaillé avec des marques de luxe comme Céline, Dior Homme et Thom Browne.
Depuis qu’elle s’est fait connaître en devenant l’une des premiers agents japonais à utiliser les célébrités locales comme support marketing pour les marques de mode, Mizuyo Yoshida a une longueur d’avance sur les autres. Mais fini le temps où il suffisait d’organiser une fête fastueuse dans les clubs de Tokyo et d’attendre que de discrètes alliances se nouent entre une poignée de stars. « La façon de faire des RP a changé, affirme-t-elle. Désormais, la personnalité et le caractère d’une star comptent davantage [que sa simple image]. »
“Je poste moi-même sur les réseaux sociaux. Personne ne m’aide, ce qui me permet de parleravec mon style. Je crois que c’est important demontrer la vraie vie… Les gens aiment me voircomme je suis.” G-Dragon, musicien coréen
Même si un choix de marque cohérent est primordial pour que la promotion fonctionne bien, il est très important que les réseaux sociaux des célébrités restent authentiques et spontanés — sans être trop controversés. Cela explique peut-être pourquoi Karl Lagerfeld et de nombreux autres créateurs soient autant attirés par le musicien coréen G-Dragon. « Je poste moi-même sur les réseaux sociaux. Personne ne m’aide, ce qui me permet de parler avec mon style. Je crois que c’est important de montrer la vraie vie… Les gens aiment me voir comme je suis », assure G-Dragon.
Inhae Yeo, journaliste à Vogue Corée et directrice du cabinet de consulting Oikonomos, considère que G-Dragon parvient à établir un rapport authentique dans les contenus qu’il poste sur les réseaux sociaux.« Ses choix sont très sélectifs et lui correspondent tout en étant en phase avec les tendances mondiales. G-Dragon sait ce qui marche et ce qui ne marche pas et il adore la mode, ça se voit. Sa passion est réelle : il ne l’utilise pas pour capitaliser sur sa propre valeur, en tout cas c’est ce qu’on ressent quand on regarde son compte Instagram », assure-t-elle.
De Saïgon à Surabaya, les tenues de G-Dragon sont détaillées scrupuleusement par ses fans asiatiques, certains essayant de recréer le même look en moins cher tandis que d’autres sont prêts à acheter chaque article de luxe apparaissant sur son compte, quel qu’en soit le prix. « J’utilise les réseaux sociaux pour partager ce que je trouve cool ou intéressant avec mes fans. Je n’ai encore jamais fait de collaboration commerciale, mais si l’occasion se présentait, j’aimerais bien essayer », lance G-Dragon, qui refuse d’admettre que les cadeaux offerts par Moschino ou les vêtements de Saint Laurent, Hood by Air et Chanel qu’il retweete ne sont rien d’autre que de la publicité pour ces produits.

Alors que d’autres pop stars de son agence de management peuvent aider à faire vendre rapidement des produits, G-Dragon est un cas à part. En plus de ses 5,7 millions d’abonnés sur Facebook, il comptabilise 5,6 millions de followers sur Instagram, 4,6 millions sur Twitter et 6,4 millions sur Weibo, la principale plateforme sociale en Chine. « YG Entertainement produit le boys band Bigbang, où G-Dragon a fait ses débuts, et aussi le girls band 2NE1 : leur objectif est de lancer les carrières solos de certains membres des groupes Taeyang, CL et Sandara et de les transformer en icônes de style. Ce label cherche à faire d’eux des marques à part entière ; les collaborations mode sont donc idéales pour ça, » explique Inhae Yeo.
En 2014, le rachat de YG Entertainment pour 80 millions de dollars (soit 71,2 millions d’euros) par L Capital Asia (un fonds d’investissement de LVMH) a illustré une nouvelle fois à quel point l’industrie culturelle coréenne est à la pointe de la mode.
Les acteurs et les actrices coréens sont très influents en Asie et très suivies sur les réseaux sociaux dans les pays voisins. Gianna Jun Ji-hyun, Song Hye-kyo, Lee Min-ho et Kim Soo-hyun font partie despersonnalités dont les comptes sont surveillés de près par les professionnels de la mode en Asie. Au point que les photos de leurs tenues représentent un moyen de promouvoir des vêtements aussi important que les clichés d’autres stars sur les tapis rouges.
“Avec l’arrivée de Li Yuchun, on se retrouve avec une chanteuse androgyne talentueuse qui semble être libérée des diktats imposés par la société. Le public adhère à sa personnalité”, Rand Han, Resonance China
Même si la culture de la célébrité en Chine est un phénomène plus récent, des actrices renommées comme Fan Bingbing, Li Bingbing, Zhang Ziyi et Zhpu Xun ont chacune signé des contrats avec des marques de mode et de luxe. Certaines ont eu plus de succès que d’autres mais personne n’a remis en cause le statut traditionnel de muse autant que la chanteuse pop Li Yuchun. « C’est intéressant d’analyser son statut dans la culture chinoise moderne, où les pressions professionnelles et académiques fontcorrespondre l’artiste à un archétype idéalisé. Mais avec l’arrivée de Li Yuchun, on se retrouve avec une chanteuse androgyne talentueuse qui semble être libérée des diktats imposés par la société. Le public adhère à sa personnalité », analyse Rand Han de Resonance China.
Depuis 2012, les designers internationaux gravitent autour de la star originaire de Chengdu qui a invité les plus grands noms de la mode à créer ses tenues pour sa tournée annuelle « Why Me ? ». Après Gareth Pugh et Riccardo Tisci, Jean-Paul Gaultier s’est récemment plié à l’exercice.
Lorsqu’elle ne s’affiche pas sur Instagram aux côtés de personnalités de la mode comme Franca Sozzani du Vogue Italie ou Carine Roitfeld, son manager retweete sur Weibo des photos la montrant dans des tenues d’autres créateurs reconnus comme Alexander Wang. Pendant ce temps, des fans analysent chaque détail de ses choix vestimentaires sur le compte Twitter@LiYuchunFashion. « Au lieu de me rejeter ou de me demander de m’adapter à leur vision, les créateurs adhèrent à mes goûts et l’enrichissent grâce à leurs créations. Je suis très surprise d’entendre que presque tous ceux qui ont collaboré avec moi apprécient et respectent mon style personnel », s’enthousiasme Ly Yuchun.
« J’ai toujours su que j’avais le pouvoir d’influencer mes fans dans leurs choix de vêtements et leur façon de s’habiller et j’espère que cette influence se reflète dans mon approche du style et de la beauté. Suivre,évaluer, apprécier et adhérer à toutes sortes de beauté, c’est comme ça que la société évolue. » C’est un message très fort adressé à ses 3,5 millions de fans chinois sur Weibo et au demi-million d’autres vivant dans le reste du monde qui la suivent sur Instagram.
« C’est pour ça qu’elle est considérée comme une icône sophistiquée, sérieuse et positive, poursuit Rand Han. Et de conclure : elle inspire d’autres personnes qui imitent sa façon de s’habiller, de se coiffer. Elle symbolise le fait qu’il y a quelque chose au-delà du cliché traditionnel de la jolie fille, une autre façon de s’habiller, d’agir, de penser et d’être. »
Source : Le Monde
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